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selloum village kabyle
16 août 2008

Autour des valeurs humaines et esthétiques d’Issiakhem

                                                      

Lors du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui eut lieu à Varsovie en 1955, Issiakhem participe aux expositions de peinture par son œuvre intitulée Le Cireur, représentant l’Algérie en lutte.  En 1958, lors du procès de la militante Djamila Bouhired, il illustre le thème de la torture dans la revue “Entretiens” par des dessins et des gravures de haute facture. Après un bref passage par l’ex-RFA, il s’installera en RDA. Là, il expose dans la ville de Leipzig ses œuvres en 1959. Deux ans plus tard, il revient à Paris pour exposer au club des Quatre-Vents. Il obtint en 1962 une bourse à Madrid - La Casa Velázquez -, mais il préféra rentrer en Algérie qui venait d’avoir son Indépendance. Dessinateur à Alger-Républicain, il sera l’un des membres fondateurs de l’“Union nationale des Arts plastiques”. Dans une exposition collective à la salle Ibn Khaldoun en 1963, il exposera ses œuvres picturales et ses gravures, comme il exposera ses productions, une année plus tard, lors du 1er Salon de l’UNAP à Alger. La même année, Issiakhem se retrouvera chef d’atelier à l’École nationale d’Architecture et des Beaux-Arts d’Alger et directeur de l’École des Beaux-Arts d’Oran jusqu’à 1966. C’est lui qui a exécuté les décors du film Poussières de juillet, un court métrage produit en 1967 et primé au Caire et à Prague.

Après avoir intimement mêlé- dans un livre à mi-chemin entre le récit, le livre d’histoire et le roman-les deux noms-phares de l’art et des belles-lettres algériennes, à savoir Issiakhem et Kateb Yacine sous l’intitulé «Les Jumeaux de Nedjma», le passionné et passionnant historien de l’art, Benamar Mediène, nous fait plonger dans son dernier ouvrage biographique sur Issiakhem, publié cette année chez Casbah-éditions sous le sobre titre d’«Issiakhem», dans l’univers esthétique et humain de l’un des plus grands artistes-peintres qu’ait connus l’Algérie. Une biographie subissant les haltes des trois autoportraits que le peintre a exécutés en 1949, 1976 et 1985.  Avec Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Iguebouchène, Mohia, Matoub, Aït Menguellet et d’autres artistes et hommes de lettres authentiques d’Algérie, M’hamed Issiakhem constitue un des piliers de la culture de notre pays. Il a, comme eux et dans un domaine particulier et nouveau par rapport à la culture traditionnelle, propulsé la Kabylie et l’Algérie dans la trajectoire de la culture universelle tout en gardant son barycentre dans les profondeurs de l’algérianité. L’homme universel est, comme en donna l’image Mammeri, cet individu qui a d’abord une place dans le microcosme local et qui, par l’expression des valeurs humaines les plus enfouies en chacun de nous, arrive à toucher l’homme là où il se trouve.

Issiakhem élève sa sensibilité au diapason des joies et des douleurs de l’homme. Avec son trait de crayon et son pinceau, il a complété, orné, sublimé et fait parler les poésies de Malek Haddad, les odes de Kateb Yacine et les strophes d’Aït Menguellet. Ses œuvre picturales fixent par ses formes figuratives ou semi-abstraites les sentiments, les idées et les métaphores véhiculées par ces poésies. Sa vie, comme ses personnages de peinture, est faite de souffrances, de méditations, de rébellion, mais aussi de fidélité et de lucidité sans pareilles.

M’hamed Issiakhem est né le 17 juin 1928 à Azeffoun. Il rejoint son père qui travaille dans un hammam à Relizane en 1931. à l’âge de six ans, il entre à l’école indigène de la ville. En 1943, alors qu’il n’avait que quinze ans, il vola une grenade dans un camp militaire américain lors du débarquement des Alliés en Algérie. La grenade lui explose entre les mains. Deux de ses sœurs et un neveu à lui furent tués par l’explosion, tandis que M’hamed sombrera dans le coma. Hospitalisé pendant deux ans, il subit plusieurs opérations d’amputation de son bras gauche.

M’hamed Issiakhem arrive à Alger en 1947. il s’inscrit d’abord à la Société des Beaux-Arts d’Alger, puis à l’École Normale des Beaux-Arts. Il y étudiera l’art jusqu’à 1951. Parallèlement à ses études, il prend des cours de miniature chez l’illustre artiste Omar Racim.

En 1951, Issiakhem rencontre Kateb Yacine à Alger et expose pour la première fois à Paris dans la galerie André-Maurice à l’occasion de la fête du bimillénaire de Paris. Deux ans plus tard, il entre comme élève à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris. Il est affecté aux ateliers de Legeult pour ce qui est de la peinture et aux ateliers Boerg pour ce qui relève de la gravure. Lors du Festival mondial de la jeunesse et des étudiants qui eut lieu à Varsovie en 1955, Issiakhem participe aux expositions de peinture par son œuvre intitulée Le Cireur, représentant l’Algérie en lutte.  En 1958, lors du procès de la militante Djamila Bouhired, il illustre le thème de la torture dans la revue “Entretiens” par des dessins et des gravures de haute facture. Après un bref passage par l’ex-RFA, il s’installera en RDA. Là, il expose dans la ville de Leipzig ses œuvres en 1959. Deux ans plus tard, il revient à Paris pour exposer au club des Quatre-Vents.

Il obtint en 1962 une bourse à Madrid - La Casa Velázquez -, mais il préféra rentrer en Algérie qui venait d’avoir son Indépendance.  Dessinateur à Alger-Républicain, il sera l’un des membres fondateurs de l’“Union nationale des Arts plastiques”. Dans une exposition collective à la salle Ibn Khaldoun en 1963, il exposera ses œuvres picturales et ses gravures, comme il exposera ses productions, une année plus tard, lors du 1er Salon de l’UNAP à Alger. La même année, Issiakhem se retrouvera chef d’atelier à l’École nationale d’Architecture et des Beaux-Arts d’Alger et directeur de l’École des Beaux-Arts d’Oran jusqu’à 1966. C’est lui qui a exécuté les décors du film Poussières de juillet, un court métrage produit en 1967 et primé au Caire et à Prague. Lors du Festival Panafricain d’Alger (juillet 1969), Issiakhem participe à l’exposition collective. La même année, il expose ses œuvres à Sofia (Bulgarie). En 1972, il voyage au Vietnam. Notre artiste est aussi connu pour la touche personnelle qu’il a apportée à des timbres-poste qu’il a réalisés pendant les années 70 mais aussi pour les maquettes qu’il a confectionnées pour les billets de banque algériens, les dessins de presse et les affiches. Il séjournera à Moscou en 1978. En 1980, Issiakhem reçoit le 1er Simba d’or (Lion d’or) de Rome, distinction de l’Unesco pour l’art africain. Il exposera en 1982 à l’hôtel Aurassi et, en 1983, il participera à une grande exposion collective à Sofia (Bulgarie) et à une autre à Alger.

Une année avant sa mort, il a exposé ses œuvres au Centre culturel italien d’Alger, à la Galerie Xenia et au Musée national des Beaux-Arts d’Alger. La dernière manifestation culturelle qui marquera la carrière d’Issiakhem, c’était une exposition individuelle, en juillet 1985, au musée de Sidi Boussaïd (Tunisie). Il meurt le 1er décembre au matin.

Le regard inquiet de “l’œil” de lynx’’

M’hamed Issiakhem s’est investi pendant toute sa vie dans un art vigoureux et de haute voltige. Les distinctions qu’il a obtenues à l’étranger ne sont pas de simples breloques de plaisance. Son art exprime par les traits, les galbes, les contours et les entortillements les profondeurs abyssales de l’être humain qui vont de la simple mélancolie aux douleurs de la géhenne en passant par les attitudes de méditations, d’abattement, d’interrogations et supplice terrestres. Malheureusement, l’art plastique (peinture, sculpture, gravure) en Algérie n’a pas bénéficié de la pédagogie qui lui aurait permis d’étendre sa grâce aux franges les plus larges de la société. Ayant pris connaissance de cet état de fait, Issiakhem n’a jamais été découragé ou freiné dans son élan. Il est un artiste complet. Son art est le prolongement naturel de sa personnalité complexe, fougueuse et rebelle à l’image de son ami intime Kateb Yacine. À l’occasion de sa mort en décembre 1985, le magazine Actualités de l’Émigration écrivait : «Sa personnalité en elle-même était un chef-d’œuvre». Effectivement, elle soulevait les passions, elle suscitait la critique, alimentait la polémique et forçait le respect. En tout cas, elle ne pouvait laisser indifférent. Kateb Yacine, en décelant chez lui une grande perspicacité, l’appelait “œil de lynx’’. D’un caractère taillé dans le roc, il était exigent avec lui-même.  Il produira des œuvres de grande valeur esthétique et morale, une forme de poésie des cimaises qui rejoint l’art majeur et la littérature en universelle par sa portée et ses interrogations.  Se rapprochant à première vue du semi-figuratif, la peinture d’Issiakhem laisse voir ses traits principaux qui font d’elle plutôt un art figuratif mais avec les estompages et les non-dits qui font parfois planer un mystère poétique sur le dessin ou la toile. On lit chez lui le souci de la recherche savante à la manière d’Henri Matisse, Paul Klee et Picasso.  Le chroniqueur d’Actualités de l’Émigration pense que dans l’œuvre d’Issiakhem, «l’élan vers l’idéal devient une confession : l’expression d’une lancinante inquiétude de l’esprit que l’artiste a toujours exorcisée (…) La forte intensité des compositions et l’usage des coloris comme moyen d’expression d’un contenu émotionnel relèvent la présence personnelle du tragique et de l’informe».  Quelque part, par ses performances plastiques, il touche aux thèmes du tragique et de l’absurde abondamment traités par la littérature (Kafka, Sartre, Camus). «Le monde est absurde. Le philosophe et l’artiste en ont conscience. Le véritable univers est à la fois un univers unique (non pas double) et faux, cruel, contradictoire, trompeur, absurde : c’est contre cette négation d’univers que lutte l’homme en créant un univers superposé, fictif», soutient la critique d’art Angèle Kremer-Marietti. 

Percer le mystère qui loge  au fond de l’homme

M’hamed Issiakhem a été un soleil dans le halo duquel prenaient place des amis et des convives, des complices ou des comparses. Kateb Yacine, Mohamed Saïd Ziad, Malek Haddad, Benamar Médiène, autant de noms prestigieux qui se sont plusieurs fois réunis et épuisés en discussions, en franches rigolades, se donnant volontiers au jeu de photos.

Benamar Médiène, sociologue à l’université d’Oran et grand ami de l’artiste, écrit dans Parcours maghrébins (1989) : «Il faut écouter Issiakhem, l’écouter cassant l’ordre des paroles calibrées, briser le cercle des fuites, écouter nos corps dans leurs plus profonds tremblements, nous écouter enfin, vivre (…) Il dit avoir peint le même tableau. Entendons les mêmes hallucinations, les mêmes tensions. Issiakhem refuse dans sa peinture comme dans sa vie la servitude et le mimétisme.  Il refuse d’être un monteur de spectacle sur chevalet ou un metteur en scène d’allégories usées (…). Avec Issiakhem, la peinture algérienne enjambe déjà les exotismes et les territoires périphériques. Accès à l’universalité. Iconoclaste furieux, il est le prédateur de ses propres fantômes pour percer un bout de mystère qui loge au fond de l’être. Comme Bacon, il s’acharne à vouloir peindre un cri, un silence, une dérision, un péril inconnu. Il s’acharne à vouloir trouver un fond commun, des mots, des couleurs, des lignes, des sons, des idées, des émotions… à vouloir parler d’une universalité dont il apprenait la poésie, la musique et la philosophie dans les arcanes débridées de la vie. Par la peinture, il voulait parler aux hommes de cette universalité en les étonnant. Sa rencontre avec Kateb Yacine ouvre en Algérie un champ jusque-là en jachère où la peinture et la littérature vont se parler et s’enflammer l’une pour l’autre. “Femme sur poème’’, une des dernières peintures d’Issiakhem, scelle la complicité. Calligraphie brute du poème par Kateb sur la toile. Issiakhem et Kateb réconcilient la ligne et la couleur à la lettre». L’autre ami d’Issiakhem, d’une attachante fidélité et d’un sens du détail inouï, était Mohamed Saïd Ziad, un enfant de Djamaâ n’Saharidj.

Dans un hommage à Issiakhem, (le journal Le Pays du 30 novembre 1994), nous noie dans des anecdotes et des scènes aussi savoureuse et aussi truculentes les une que les autres. C’est un véritable chef-d’œuvre de fidélité, de mémoire, d’attachement et de complicité intellectuelle. Nous retiendrons de lui la dernière partie : «L’une des toutes dernières fois où je le revis, ce fut lors du tournage du documentaire que lui avait consacré Sahraoui avec pour fond musical “Ayagu !” d’Aït Menguellet. Un signe précurseur : l’introduction de la langue amazigh dans le cinéma algérien comme, son ami Kateb avait imposé le nom Amazighe dans notre état civil, quelques années avant lui, ceci avec la complicité d’un employé de l’état civil de Bougaâ où Yacine avait passé de longues années, son père y ayant exercé la profession de cadi.  Bien que réduit à l’état de squelette, ceci ne l’empêchait pas de faire de nombreuse virées en ville où il ne se gênait pas de prendre un verre comme au bon vieux temps. Le verre n’était guère altéré. Pensait-il déjà à la mort ? Une fois, tandis que ses enfants étaient près de lui, je vis des larmes perler mais qu’il sut effacer discrètement. Ce fut la dernière image que je garde de lui».

Amar Naït Messaoud

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Poésie des formes et des couleurs
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